Point de vue: Payer toujours moins cher... Jusqu'à quand?
Il y avait 10 millions d’agriculteurs en 1946… ils sont 400 000 aujourd’hui. Nous avons franchi le seuil où nous ne sommes plus en mesure de produire ce que nous allons manger. Les explications sont multiples : la mécanisation est bien entendu passée par là, comme la transformation des territoires et l’ouverture des frontières.
Au cœur de ces transformations, la croyance que tout doit être fait pour qu’au final le consommateur paie son produit moins cher. Et peu importe le coût social à payer par ailleurs : si les prix baissent, tout ira mieux.
Dans cette course à l’échalote, les politiques ont trouvé un allié de poids avec la grande distribution. De l’avis général, elle a permis de juguler l’inflation, notamment dans les années 80. Tout comme les importations de tissus en provenance de Chine, tout comme les importations de légumes en provenance du Maghreb, tout comme les importations de véhicules fabriqués en Europe de l’Est.
L'alimentation, variable d'ajustement du budget familial
En synthèse, nous avons fait le choix de rogner sur l’alimentation pour mieux dépenser ailleurs (notamment en équipement et communication dont les dépenses ont été multipliées par 3 entre 1960 et 2005). Nous avons choisi de faire manger à nos enfants des lasagnes au cheval et du pain surgelé, pour mieux leur offrir une indispensable tablette numérique. Avec la complicité plus ou moins passive du politique. L’avenir est dans le tertiaire : fini les usines, fini l’agriculture, et dans la foulé fini l’artisanat. Assez de ces ringards qui se sont gavés sur le dos du consommateur! On a beaucoup moins dit que ces secteurs étaient des très gros pourvoyeurs d’emplois… En les tuant, on a tué l’emploi.
Nous regardons actuellement ce qui arrive aux paysans avec une vraie méfiance : pour nos grands-parents, l’agriculture était le secteur principal de l’économie (comme l’est aujourd’hui l’Artisanat…). A présent elle est cantonnée à un rôle folklorique, à des niches; de celles où on ne peut plus montrer les dents.
Baguette de tradition française contre farines de Russie
On a vaguement le sentiment que l’Artisanat va connaître le même sort : ne demandez pas au boulanger qui fabrique sa baguette et forme des apprentis de rivaliser avec le hard discounter ou le point chaud qui réchauffent leur blocs congelés de pains précuits. Faire le choix du seul prix, c’est accepter à terme la destruction d’une partie de notre patrimoine.
Peut-on sérieusement envisager que la baguette, cette fierté française, soit en fait réalisée avec d’obscures farines russes, façonnée dans une usine quelque part en Europe, acheminée dans des congélateurs jusqu’à un terminal de cuisson et commercialisée en France, pays de la baguette? C’est pourtant ce que nous acceptons chaque jour, avec un mouvement qui s’accentue d’année en année. Là où un boulanger a besoin de 4 salariés (2 à la production, 2 à la vente), son concurrent se contentera de 2 vendeuses.
Et pourtant il va falloir absorber 850 000 nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi tous les ans d’ici 5 ans… Ne comptez plus sur la grande distribution, les caissières sont remplacées par des caisses automatiques : ces grands espaces qui ont été bâtis sur d’anciennes terres agricoles, qui ont fait fermer les commerces de proximité vont à leur tour être désertés pour devenir des drive. Parce que ça coûte moins cher d’avoir du hagard de stockage que de l’espace de vente.
Le consommateur face à ses responsabilités
La planche de salut de l’artisan est dans un juste rapport de qualité/prix. Il ne s’agit pas de prendre le consommateur pour un pigeon, mais simplement de se rappeler que les choses ont un prix et qu’il est de notre responsabilité, à tous, de réfléchir aux choix que l’on fait.
Et s’il fallait un dernier argument : les français ont beau consommer plus de tablettes, d’écrans plats, et de forfaits téléphoniques, ils restent les vice-champions d’Europe de la consommation d’anxiolytiques, preuve que le bonheur est certainement ailleurs ; il est peut-être dans le pré !
Damien Ribeiro,
Secrétaire Général UPA66