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Comment ne pas devenir un vieux con ?


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Ce texte a été écrit pour les 70 ans du journal « l’agri », publication qui a toujours su faire la part belle à l’économie de proximité. Nous vous en proposons la lecture, histoire de replonger dans un passé pas si lointain…

 

Les injections de botox, les liftings, les heures passées dans les salles de sport n’empêcheront pas de faire face à cette terrible question qui se pose à chacun de nous un jour ou l’autre. Souvent au détour d’une phrase que l’on s’entend prononcer et qui nous faisait bondir il y a quelques années quand elle sortait de la bouche d’un vieil oncle que toute la famille qualifiait de réac. Seulement voilà, le temps fait son œuvre, et avec lui nos convictions d’hier, comme nos victoires, ont des visages changeants. « Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent » dit celui qui veut se rassurer. Or, pour l’Agri qui fête ses 70 ans cette année, voici venue l’heure de la question des outrages du temps.

 

Elle s’est posée à nous l’an dernier lorsque la CAPEB nationale a fêté elle aussi ses 70 ans. Quand on pense notre époque comme celle de l’individualisme triomphant, du tout dématérialisé, de l’immédiateté – tout et tout de suite, comment continuer à faire du syndicalisme ? Comment continuer à faire du journalisme ? Comment ne pas devenir un vieux con ?

 

Peut-être suffit-il de faire preuve d’une grande modestie. Pour ça, rien de tel qu’une plongée dans les archives de nos structures : on voit la plateforme revendicative réclamant, en 1952 : « une réforme de la fiscalité avec une plus juste répartition des charges fiscales, un allègement des charges sociales, des armes contre le travail au noir, des délais raisonnables de règlement des travaux ». Autant de sujets qui sont toujours au menu des discussions 65 ans plus tard. Quels que soient nos mérites, nos victoires, nos luttes, ils ne sont que la continuité d’autres mouvements. Et ceux qui viendront continueront le travail, comme nous l’avons fait. Voilà qui peut aider à lutter contre les effets de la prétention.

 

Autre motif de modestie, relevé cette fois dans les archives de 1927 de ce qu’on appelait à l’époque l’union départementale des artisans. Là, d’une écriture élégante, le secrétaire d’alors, un dénommé J. RESPAUT écrit : « comme la salle du siège actuel ne suffit plus pour contenir le nombre sans cesse croissant des membres de la section, le bureau soumet aux artisans présents le vœu de voir la salle actuelle échangée contre une à dimensions plus grandes ». La finesse des lettres et le maniement d’un français absolument parfait ne manquent pas de contraster avec les mails phonétiques que l’on reçoit à présent. Mais voilà que je suis en train de faire mon vieux con.

 

Ce qui tranche aussi, à l’heure où chacun cultive son téléviseur, c’est de voir qu’en ces temps-là, le casse-tête était d’accueillir tout le monde dans une salle assez grande. Epoque où le procès-verbal d’assemblée générale regorge de tailleurs, tapissiers, cimentiers, matelassiers, charrons, tricoteuses, maréchaux, teinturiers, tonneliers, bourreliers, vanniers … Autant de professions disparues qui peuplaient les villages et assuraient un service, un revenu, une vie de proximité et, disons-le, un sens aux existences. Mais voilà que je suis encore en train de faire mon vieux con.

 

Difficile en effet de ne pas devenir un vieux con quand on lit le compte-rendu de la réunion du 29 février 1928 : « Aucun n’a pensé à alléger celui qui, avec le cultivateur, fait vivre le capital. Aucun gouvernement n’a eu le courage de prendre l’argent où il se trouve, c’est simple mais c’est risquer de perdre sa popularité. La grosse industrie, la grosse Société, voilà où il faut frapper ! ». Au détour de cette phrase, on constate que les anciens avaient compris la filiation entre artisanat et agriculture, et identifié l’ennemi commun : le manque de courage des politiques.

 

Alors, à la lecture de tout ce qui précède, il peut être commode de se laisser aller à quelques bas instincts. Pourtant, la seule façon de ne pas devenir un vieux con, c’est précisément de lutter. Le coup d’œil dans le rétroviseur ne doit pas être l’occasion d’une noyade dans la nostalgie. Au contraire, nous devons y trouver les forces pour maintenir intacte notre capacité d’indignation. Ne jamais s’accommoder de la médiocrité. Toujours croire que toute les luttes sont à mener, même celles que l’on perdra. Et guider les nouveaux venus, en les laissant commettre ce qui ressemble pour nous à des erreurs. Détermination, travail, transmission : dans nos ateliers comme dans la vie, voilà les meilleurs remèdes pour éviter de devenir un vieux con.

 

Pour la route on ajoutera une dose de curiosité qui peut vous amener, me souffle Damien Ribeiro, du côté de chez Jankélévitch, : « Le passé a besoin qu'on l'aide, qu'on le rappelle aux oublieux, aux frivoles et aux indifférents, que nos célébrations le sauvent sans cesse du néant, ou du moins retardent le non-être auquel il est voué ; le passé a besoin qu'on se réunisse exprès pour le commémorer : car le passé a besoin de notre mémoire… ».

 

Allez, bon anniversaire l’Agri, tu as 70 ans, et tu as toujours l’air d’une chanson.

 

Robert Massuet,

Président UPA et CAPEB 66