Europe : à quand l'armistice ?
Prudence ! Chaque avis tendant à apporter la moindre critique à la construction européenne a vite fait de vous cataloguer dans le camp des ronchons, des réactionnaires, des petits esprits. Il faut dire, et ce n’est pas rien, que l’Europe c’est la paix. Dès lors s’en prendre à l’Europe, c’est déclarer la guerre.
A y regarder de plus près, si les canons entre pays de l’Union européenne sont bien rangés, le champ de bataille est à présent commercial. Là où le Portugal fait du dumping fiscal pour attirer les deniers des retraités, d’autres fracassent le taux d’impôt sur le sociétés pour héberger Google ou Amazon tandis que les nouveaux entrants, avec leur salaire mensuel moyen à 400 euros tentent de récupérer le gâteau des métiers à forts besoins en main d’œuvre. A ce titre, les agriculteurs, les entreprises du bâtiment ou du transport ont appris à parler Polonais bien plus vite que les services de la Direccte. Le législateur français, qui a toujours trois trains de retard tente tant bien que mal de juguler le phénomène et encadrant le recours aux travailleurs détachés, tandis que les administrations sont toujours plus promptes à attaquer ceux qu’elles connaissent et qui ont pignon sur rue. C’est qu’il faut pouvoir encaisser le montant des contraventions.
A ce petit jeu, les entreprises françaises sont forcément les premières pénalisées. Car soyons clair : il est impossible de respecter absolument toutes les obligations qui s’imposent à nous. D’une certaine façon, cette multiplication administrative conduit à une forme de tri entre les entreprises qui peuvent s’organiser pour continuer à y faire face, et celles, trop petites, qui sont à la merci du moindre contrôle. Embauchez votre premier salarié, et en plus du bulletin de salaire, du contrat de travail, de la déclaration d’embauche, du document unique d’évaluation des risques, des tenues de sécurité, du suivi des temps et des trajets, de l’habilitation électrique qu’il devra passer pour changer une ampoule et du salaire que vous allez devoir verser, il faudra s’assurer qu’il respecte les limitations de vitesse sinon vous devrez le dénoncer. Dans le même temps vous verrez arriver sur les mêmes chantiers une main d’œuvre étrangère qui dort dans des Algeco, n’a aucune formation ou habilitation, ne compte pas ses heures, roule à tombeaux ouverts dans des camionnettes pourries et reverse la moitié de son salaire à l’employeur pour la location de l’Algeco… On peut se dire que j’exagère et que j’en rajoute mais ceux qui sont sur les chantiers connaissent parfaitement cette réalité. Nous sommes aujourd’hui dans une guerre commerciale dans laquelle notre administration préfère nous tirer dessus. Et si tout ça reposait sur d’étranges superstitions de caste ?
Dans son dernier roman, Sérotonine, Michel Houellebecq met en scène un ancien cadre du ministère de l’agriculture échangeant avec un ami agriculteur, le dialogue entre eux n’a rien de romanesque : «
-Une fois qu’on sera aux standards européens, on n’aura toujours pas gagné, on sera même au seuil de la défaite définitive, parce que là on sera vraiment en contact avec le marché mondial, et la bataille de la production mondiale, on ne la gagnera pas.
-Et vous pensez qu’il n’y aura jamais de mesures protectionnistes ? (…)
-Absolument impossible,(…) le verrou idéologique est trop fort
(…) Mes interlocuteurs ne se battaient pas pour leurs intérêts, ni même pour les intérêts qu’ils étaient supposés défendre, ç’aurait été une erreur de le croire : ils se battaient pour des idées ; pendant des années j’avais été confronté à des gens prêts à mourir pour la liberté du commerce ».
Comment analyser la situation autrement quand on voit que les taxis français doivent faire place nette pour les taxis espagnols lorsque ces derniers veulent venir travailler en gare de Perpignan, mais qu’un taxi français qui va chercher son client à l’aéroport de Gérone est verbalisé par la police espagnole ?
Tout ça, nous en parlons avec les politiques chaque fois que l’occasion se présente. Les élections européennes qui ne semblent pas passionner les foules permettront une nouvelle fois de reposer ce problème et chacun pourra expliquer si l’on harmonise enfin nos règlementations, notre fiscalité, nos salaires ; ou si l’on doit se résigner à la disparition en France de tous les métiers de main d’œuvre. Si c’est le cas, autant le savoir tout de suite et monter une plateforme de recrutement en Europe de l’Est.
Robert Massuet, Président UPA